note d’intention
« Curiosity » est le nom donné à ce robot spatial envoyé pour explorer la planète Mars, et c’est ce même nom que j’ai décidé de donner à cet atelier de recherche théâtrale, à cette création partagée (notre futur spectacle).
Quel beau projet que celui d’essayer de comprendre la nature d’une planète étrangère afin d’y rechercher la vie.
Et si « l’autre », mon semblable, était lui aussi une planète à explorer, un monde encore inconnu qui n’attend que ma curiosité pour pouvoir se dévoiler enfin ?
Et moi ? Suis-je moi aussi un monde inconnu pour les autres ? Vais-je un jour moi-aussi me laisser découvrir ?
Il nous suffit simplement d’un peu de volonté pour partir à l’aventure, à la découverte de ce qu’on ne connait pas afin d’aiguiser notre soif de connaissance, notre curiosité de tout, du monde, des choses, des autres, et de nous-même.
Il nous suffit d’activer en nous une curiosité sauvage pour accéder au monde, et y révéler tant de choses cachées…
Dans cet atelier, je nous convoque à l’exploration d’un territoire inconnu : Le théâtre comme lieu de l’expérience de l’autre.
« Curiosity » s’inscrira dans la continuité de « Ivresse de la Parole » et commencera « sous les étoiles », à cet endroit précis où se terminait ce spectacle (« Ivresse de la Parole » a été créé à La Cité dans le cadre du « temps des amateurs » lors de la Biennale des écritures du réel en 2012)
J’ai envie de poursuivre ce cheminement artistique, et de décliner autrement cette aventure théâtrale, d’aller ailleurs, d’aller plus loin, tout en continuant à creuser un même sillon de recherche.
Si « Ivresse de la Parole » était une ode au bavardage qui affirmait qu’il ne faut jamais tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler, « Curiosity » sera une ode à la curiosité qui affirmera que les goûts et les couleurs, oui, ça peut se discuter ! Et puis aussi que non, la curiosité n’est pas un vilain défaut, et se mêler de ce qui soi-disant ne nous regarde pas est une très bonne chose…
Nous devrons placer ce travail sur le terrain de notre curiosité la plus vive, ou du moins nous devrons tenter de mettre en forme cette curiosité, même si cette forme ainsi constituée pourra tout à fait rester inachevée…
J’ai envie de continuer à fabriquer du théâtre avec des matériaux à priori non théâtraux et faire émerger une parole brute (souvent improvisée) qui ne soit pas littéraire et qui ne repose sur aucune écriture dramatique ou fictionnelle préexistante.
Au théâtre, les évènements n’ont pas besoin d’être systématiquement incarnés par des personnages de fiction pour pouvoir exister, les acteurs construiront leur présence sur scène en partant d’eux-même, en écrivant au présent une « écriture du réel » vécue, jouée, risquée devant un public, à la face du monde.
C’est un théâtre de l’expérience que je propose, un théâtre qui cherche à fabriquer des spectacles perçus comme des « objets théâtraux non identifiés » afin que l’objet artistique ainsi créé ne perde jamais sa fonction d’expérience. Partir à la recherche d’une écriture théâtrale qui propose à l’acteur et au spectateur une expérience réelle, une écriture qui excite et dérange un peu le concept tranquille de la « représentation » afin que les gens n’aillent plus au théâtre seulement pour consommer des objets culturels, mais qu’ils y aillent pour vivre en commun une expérience artistique de sens et d’émotion.
Reste alors à savoir le regard que l’on convoque, et l’expérience que l’on propose…
Une « création partagée », c’est une création où chacun apporte sa pierre à l’édifice en mettant en partage quelque chose de lui même. Cet atelier nous demandera alors une forme ludique d’engagement personnel pour pouvoir apprendre plein de choses étonnantes au cours de cette aventure théâtrale et humaine…
Mettre en jeu notre savoir, nos connaissances, nos passions, nos doutes, nos certitudes, nos préjugés, notre ignorance…
Accepter de défendre ses convictions. Accepter de se laisser convaincre.
Travailler sa curiosité, vouloir la faire grandir
Avoir envie de faire des études, d’exposer son travail, d’être clair et brillant.
Affirmer un besoin de comprendre et d’être compris.
Assumer de se prétendre « spécialiste » et se donner tout les moyens de pouvoir le revendiquer devant les autres.
Être exigeant avec soi-même, s’auto-discipliner, se lancer des défis personnels,
Ne pas choisir de se réfugier dans la facilité, mais ne pas se dissoudre et se perdre dans la complexité.
Placer la barre haut, tout en mesurant et visant un objectif atteignable.
Faire confiance aux autres sans s’en remettre à eux.
Prendre ses responsabilités, se sentir souverain, ne pas se cacher derrière une fausse modestie.
Savoir s’imposer, savoir suivre et guider.
Savoir obéir et savoir résister.
Accepter de perdre, accepter de gagner.
Accepter de jouer.
Dans cet atelier se poseront toutes sortes de questions qui constitueront notre matière pour jouer ensemble
(il ne s’agit nullement d’un questionnement psychologique ou exclusivement existentiel, mais de questions à prendre concrètement pour jouer, pour faire du théâtre)
Quelles sont les connaissances que je possède ?
Qu’est-ce que je peux apprendre aux autres ?
Quelles sont les choses que je connais et que les autres ignorent ?
Qu’est-ce que je voudrais qu’ils sachent et qu’ils comprennent enfin ?
Qu’est-ce que j’ignore que je voudrais connaître ?
Suis-je spécialiste de quelque chose ? Est-ce que je possède un savoir ou une pratique singulière ?
Suis-je capable de faire partager, comprendre, et aimer ce que j’ai un jour moi-même appris ?
Suis-je capable de transmettre quelque chose de ma vie ?
Qu’est-ce que je possède que je voudrais donner ?
Suis-je capable d’écouter et d’apprendre des autres ?
Qu’est-ce que je refuse d’écouter ? Quels sont les préjugés dont je ne veux pas sortir ? Quelles sont les choses dont je ne veux absolument pas entendre parler ? Quelles sont les certitudes auxquelles je me raccroche ?
Qu’est-ce que je risque à affronter les autres ?
Qu’est-ce que je risque à dire ce que je pense ?
Ce que je trouve beau est pour moi vraiment beau, ce que je trouve moche est pour moi réellement moche, comment en convaincre les autres ?
Comment en convaincre les autres quand un connard a un jour affirmé que les goûts et les couleurs, ça ne se discutait pas ?
Comment puis-je témoigner pleinement et véritablement d’une expérience personnelle forte ?
Comment témoigner pleinement de mon vécu, de mon histoire ?
Comment me faire comprendre ?
Avec ce que je sais, ce que je crois savoir, ce que j’ignore encore, suis-je toujours capable d’écouter un autre et de me taire ?
Suis-je toujours capable de rencontrer les gens ? Suis-je encore capable de parler aux inconnus ?
Suis-je capable d’écraser, d’humilier, et de détruire quelqu’un à la seule force de mes convictions et de mes connaissances ?
Jouer et gagner au « Trivial Poursuit » me rend-il monstrueux ? Jouer et gagner au « Trivial Poursuit » me rend-il criminel ?
Suis-je supérieur aux autres parce que c’est moi qui sais et moi qui ai gagné ?
Oserais-je m’avouer à moi-même ce qui me fait plaisir ? Oserais-je nommer un peu de mon désir ?
En quoi est-ce que je crois ? Quelles sont mes convictions ?
Quelles sont ces choses qui me dépassent ? Quelles sont ces choses que je ne pourrais jamais comprendre ?
Comment faire comprendre aux autres ces choses incroyables auxquelles je crois ?
Comment solliciter en moi une exigence de curiosité, et comment l’assouvir ?
Comment me rendre intéressant aux yeux des autres ?
Comment vivre ensemble avec tout ce qui nous sépare ?
Laurent de Richemond - septembre 2014
L’homme de l’espace dont c’est le jour natal sera un milliard de fois moins lumineux et révèlera un milliard de fois moins de choses cachées que l’homme granité, reclus et recouché de Lascaux, au dur membre débourbé de la mort
René Char